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Photo du rédacteurP. BOUTET LVL

Histoire et mémoire.s, autour de la biographie de Salomon Yeni

Dernière mise à jour : 28 mars 2022

Quelles articulations entre mémoire et histoire, nous montre la construction de la biographie de Salomon Yeni, réalisée par les élèves et le travail de généalogie de Denis Vaultier?


(résumé de la réflexion des 5 élèves de Terminale inscrits en spécialité HGGSP)






L’histoire est une science humaine, fondée sur des sources étudiées de manière rigoureuse et critique. La mémoire, quant à elle, offre un récit du passé par les souvenirs, donc subjectifs, d’un ou plusieurs individus. La mémoire nourrit l’histoire et témoigne de la perception de ce qui a été vécu, tandis que l’histoire a besoin de multiplier ses sources documentaires, où les témoignages mémoriels jouent un rôle important.

Alors, on peut se demander comment l’histoire et la mémoire sont-elles imbriquées pour être au plus proche de la reconstruction de la biographie de Salomon Yeni ? Quel intérêt existe-t-il à construire la biographie d’un déporté, mort pendant l’été 1944 ?


La construction de la biographie a d’abord nécessité un travail de rigueur d’historien, sur des documents-source « servant de preuves » : quatre archives nationales et départementales, pour les élèves comme pour le travail de généalogie du général Vaultier, agissent comme des fondations à la reconstruction étape par étape de la vie de Salomon Yeni.


Ainsi, les élèves et D. Vaultier sont à l’origine d’une découverte majeure grâce à ces quatre archives : cinq éléments ont été trouvés, qui montrent que Salomon n’est pas arrêté en tant que juif, mais sur dénonciation de son rôle dans la Résistance en 1943 et 1944. Ces informations seront transmises à l’association Convoi 77, pour déposer une demande collective de reconnaissance posthume du statut de déporté résistant pour Salomon Yeni, comme pour de nombreux autres juifs, alors que ce statut a été refusé jusque-là. L’histoire est toujours en construction : pendant des dizaines d’années, on a entendu que les juifs sont « partis à l’abattoir sans rien dire », mais il est important de souligner que beaucoup ont choisi de résister activement à la terreur nazie partout en Europe.


Grâce à ce travail de biographie par des sources administratives (même si elles ne se recoupent pas toujours parfaitement, comme pour l’année de naissance de Salomon) et les témoignages des survivants et de son fils, Monsieur Yeni n’est plus un déporté parmi des millions d’autres. On y découvre un homme unique, qui s’est battu toute sa vie pour gagner sa liberté et celle de sa famille : il nait dans l’empire ottoman, où religions et cultures cohabitent dans une certaine tolérance (en Macédoine en particulier). Il grandit dans une jeune Grèce très fragile politiquement et qui, au nom du nationalisme, tend à l’extrémisme politique et religieux. Il choisit d’émigrer en France, en pleine crise économique. Il s’installe chez sa sœur à Paris. Pendant la guerre, il se réfugie à Pau. Il n’a pas souvent le droit de travailler et pourtant il accueille chez lui toute la famille Raffaël et la vie continue : des mariages se nouent, des enfants naissent, des fêtes se multiplient…dont témoignent de nombreuses photos. La mémoire familiale participe à la construction d’une biographie qui nous permet de comprendre que cet homme n’est jamais épargné par les tragédies (sa première compagne meurt en couches, il laisse le bébé en nourrice, sa seconde fille meurt à 3 mois, lui et une grande partie de sa famille sont dénoncés puis assassinés…). Malgré l’adversité, il choisit toujours la liberté : l’émigration, l’engagement comme volontaire étranger dès les premiers jours de la guerre alors qu’il vient de se marier, l’entrée dans la Résistance en 1943…


On voit, par ailleurs, comment la transmission de la mémoire de Salomon Yeni est source à la fois d’union et de conflit chez les générations suivantes. Seule l’épouse de Salomon et son fils Jean-Claude survivent à la Shoah. Esther décède en 1972 et Jean-Claude, né en 1943, grandit sans son père biologique. Ses propres enfants disent que l’absence de Salomon a créé chez Jean-Claude un sentiment d’abandon, qu’il a transmis à son tour à son fils : Jean-Claude a choisi une vie libre, parfois éloignée des siens ; il n’a jamais su parler, ni témoigner auprès de ses quatre fils, de l’histoire de leur grand-père, car c’était trop douloureux pour lui. Ce flou historique amène les 4 petits-fils de Salomon à se questionner sur leurs origines autour d’ une sorte de tabou familial : Jean-Claude est élevé par sa mère et son beau-père dans la religion catholique ; il apprend à 16 ans révolus (quelques mois avant le procès d’Eichmann) que son père biologique était juif et a été assassiné.



Le général Vaultier, auteur de "les feux du diamant", entouré de deux des quatre petits-fils de Salomon Yeni, présents à la conférence du 7 février.


La biographie de Salomon YENI apporte alors quelques réponses concrètes à ses descendants, désormais nommés IENI, sur les évènements, la reconstitution des dates, des lieux dans la vie de leur grand-père.

Parmi les quatre petits-fils, les deux plus jeunes sont activement à la recherche des traces de Salomon et ont choisi de venir témoigner à la conférence du général Vaultier au lycée avec beaucoup d’émotion et la conscience que témoigner de leur mémoire familiale a également une valeur philosophique, politique, à dimension universelle. Les deux frères aînés ont occulté ce grand-père assassiné : c’est une manière d’honorer, selon eux, la mémoire de leur propre père qui n’avait jamais parlé de son père biologique.


Une mémoire, des mémoires, l’ histoire toujours en construction.










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